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vendredi 28 mai 2010

L'Autre Lune

Carmina vel caelo possunt deducere lunam...
Virgile.


Bon... premier message depuis des mois. J'me livre au compte-goutte maintenant, alors si vous avez la patience d'un phénix tant mieux, si vous vous lassez aussi vite qu'un gobelin je suis désolé.
C'est que ce n'est pas facile de se livrer quand à force ce sont toujours les mêmes choses qui vous tracassent. Oh et puis quand tout va bien, vous le savez, on ne dit rien. Encore que... le précédent message prouve le contraire.

Mais là... bon, faut dire que mes pensées sont un peu précipitées, il est donc nécessaire de ressortir la bonne vieille pensine de son placard pour y déverser le trop-plein. Voyez les tourbillons d'argent qui s'écoulent dedans... Ce sont des rêves.

Tenez, celui-là. Il date du début de la semaine. Un mauvais rêve ou un bon? je l'ignore. Je vous le livre tel quel, brut de décervelage. Il est sur fond bleu nuit.Je sors de l'hôpital où je travaille (dans mon rêve hein. Je ne travaille pas, je suis plutôt sur l'angoisse justement à ce sujet). Je suis allé voir ma mère. Qui loge visiblement chez mes arrière-grands-parents, du côté de la mère de mon père. Autant dire à l'opposé familial total de ma mère. Mais dans mon rêve je m'en inquiète à peine, c'est pour ainsi dire normal. Les rêves sont comme les dieux, ils ont un sens de l'humour déroutant, je ne vous apprends rien. On est dans ce qu'un interprète comme moi pourrait appeler une "inversion inconsciente", inversion étant à comprendre comme le charivari, le détournement, la culbute, le chamboulement carnavalesque caractéristique des mondes parallèles, magiques ou surnaturels. L'effet miroir déformant propre à l'Autre-monde. C'est comme ça que j'ose le comprendre en tout cas.
Donc je vais chez ma mère, dans cet Ailleurs indéfinissable. Là, avant d'arriver, on me fait remarquer que la Lune est magnifique, sur le ciel d'où le jour s'efface aussi vite qu'une encre sèche. Nous sommes encore dans un entre-deux, la fin du crépuscule. Je remarque cela maintenant, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'étant donné la suite, c'est logique.
Il y a des gens, non pas plein, mais plusieurs personnes, qui sont debout ou assis sur une plaine herbeuse près de la maison. Cette plaine s'étend à perpétuité, par delà un horizon aussi arrondi que la tête à Toto. Ca fait un effet Petit Prince sur sa planète où ne pousse qu'une fleur, si vous voyez le dessin auquel je fais allusion.Tous regardent le ciel de plus en plus sombre, couleur bleu marine. On me fait alors remarquer (qui ça on? Je ne sais) que la Lune est magnifique ce soir. Etant assez fidèle à moi-même dans mes rêves, je lève aussitôt la tête pour constater combien la lune est effectivement belle, argentée, gibbeuse encore, de la taille d'une balle de golf vue d'ici. Moment d'émotion.
C'est alors que je remarque quelque chose d'étrange. Il y a une autre lune dans le ciel. Juste à côté de la première, comme si celle-ci s'était dédoublée. Elle me paraît gibbeuse, argentée, mais un peu plus grande. De plus en plus grande. Elle grossit, s'enfle, s'arrondissant au fur et à mesure, les détails de ses plaines blanches et de ses mers grises sont de plus en plus précis.
"Elle s'approche!", je m'exclame.
Elle s'approche en effet, et à une vitesse affolante. Je sais alors qu'elle va tomber sur Terre. Je cours vers la maison de ma mère, criant pour alerter des gens sur le passage, mais personne ne m'entend. Je rentre dans la maison. La pièce principale est telle qu'elle était du temps de mes arrière grands-parents : la véranda avec ses mouches, la salle à manger plongée dans la pénombre, le poêle noirci par le charbon à droite, le lit, haut, épais, rougeâtre, mortuaire, dans le fond. Ma mère, de l'autre côté de la table, devant ce lit, debout, m'attendant. Je ne la vois pas vraiment, mais je sais que c'est elle parce que, dans les rêves, on ne voit pas vraiment les gens, on les ressent. La sensation que l'on a, éveillé, quand on sent leur présence. C'est ainsi qu'on les identifie, mais ça reste un rêve, fantomatique. Ma mère n'est pas là, seulement cette présence qui lui est propre et est seule liée à cet Autre monde qu'est le rêve.
Je vais la voir, commence à l'avertir. La Lune a envahi l'espace.

Et je me réveille.



Je ne suis pas sûr d'avoir senti la fin du monde, non non. Je l'ai surtout sentie venir, et tout en tentant de sauver un être cher, tout le monde même, je savais que c'était inutile, parce que je n'en avais pas le temps.

Un cauchemar. Ne pas avoir le temps. L'impuissance. La Lune qui tombe sur Terre. Ma mère dans cet Autre-monde qui lui est si éloigné...

Maintenant vient l'interprétation. Je ne suis pas du genre à m'attarder sur mes rêves. L'oniromancie est bien trop nébuleuse à mes yeux pour que je lui fasse confiance. Mais ce rêve est vraiment hors du commun. Le travail à l'hôpital, c'était autre chose, juste une angoisse liée à mon quotidien. D'ailleurs je ne m'en rappelle pas. Mais ce rêve...
J'ai déjà rêvé de cataclysme où je perdais ma famille. Enfant, j'avais dessiné à l'école un de mes rêves où un volcan engloutissait ma maison et je voyais les lunettes de mon père flotter à la surface de la lave en fusion lorsqu'elle s'engouffrait dans l'école. C'est vous dire.
Mais là, il ne s'agit pas d'une peur enfantine. C'est trop vivant, trop marquant, trop riche de sens.

J'en ai déjà expliqué quelques uns : l'Autre-monde, le crépuscule qui marque l'entre-deux, instant où dans la vie de tous les jours je me sens le plus proche d'un autre niveau de conscience. Je veux être plus précis dans mon analyse. Ma mère, c'est la vie. C'est ce que je ressens en sa présence : à la fois le sentiment de mon origine, la certitude même de celle-ci, le côté rassurant de la mère pour l'enfant qui est encore en moi forcément, l'envie aussi de me battre pour ceux que j'aime, ce qu'elle m'a toujours démontré, et enfin le besoin d'aller de l'avant, la motivation qu'elle m'a toujours donné. La maison de mes arrière grands-parents paternels... aussi loin que je me souvienne, depuis tout petit, cette maison évoque pour moi la mort. Sombre, très sombre, dégarnie, avec des mouches, un poêle comme dans l'ancien temps (j'étais petit, l'ancien temps s'est reculé avec l'âge), le charbon, sale, noir... Ces deux vieilles personnes, certes affectueuses, mais vieilles, courbées par les ans, vêtues de tissus sombres, terreux, pratiquement chtoniens. Le contraste est saisissant dans mon rêve où deux choses éloignées, vraiment éloignées puisque ma mère et sa belle-mère s'opposent en tous points, sont quasiment assimilés. Comment mon inconscient (ou les dieux) ont-ils pu procéder à ça si ce n'est par une magie qui leur est propre?

Or, c'est là qu'a lieu le désastre : au niveau de la mort, alors que je tente de sauver la vie. Frappant comme image, j'en ris presque, on dirait un film. Mais Homère parle aussi comme ça, alors pourquoi pas...
Le désastre, c'est la Lune. Ou plutôt une autre Lune. Et je crois qu'il s'agit de moi...
Je ne pensais pas particulièrement à la Lune ces jours-ci. Il est vrai qu'elle a dû y penser seule, puisque la pleine lune s'est produite dans la semaine. Au moment du rêve, elle était effectivement gibbeuse. La Lune, c'est un miroir. Celui du Soleil pour la première, le miens peut-être en ce qui concerne la seconde. La plupart des divinités lunaires ont été masculines, dans l'histoire de l'humanité. Certaines très importantes, pratiquement à la tête du monde. A Babylone, c'est un dieu astrologue, celui qui dit les choses qui sont et qui seront. Qui influe sur le temps. La notion de temps est décidément omniprésente dans ce rêve. Mên, le dieu auquel je pense le plus malgré moi quand je pense à la Lune, est celui qui a donné son nom au mois. Pourquoi ne me parlerait-il pas de mon Moi (aïe, j'essaye d'éviter de freuder, mais c'est dur)? Enfin, ma conscience européenne occidentale a pris le pli de voir dans la Lune le symbole de l'ésotérique, de ce que l'on cache, pratique en secret, pense sans le dire...

Or voilà... il y a une angoisse que mon subconscient aurait pu vouloir me jeter à la gueule. Mon subconscient ou les dieux - n'est-ce pas la même chose, au fond? Une angoisse omniprésente en ce moment.
Je veux parler justement de ce qui me manque, me préoccupe, me travaille, m'intrigue, me guide et m'échappe encore et encore, jour après jour, nuit après nuit : la magie, l'enchantement, les mystères par delà le conventionnel, ce que les puissances ont à offrir au-delà de ce que l'on sait, voit, entend, peut! Cet autre monde entre jour et nuit, entre vie et mort. Ce monde auquel je sais appartenir sans pouvoir y entrer pleinement. Cette obsession qui peut-être m'envahira, m'écrasera, m'étouffera, me détruira.
Peut-être, comme les sorcières de Virgile, finirai-je par faire descendre la Lune du ciel? Pour le meilleur comme pour le pire...